|
J'ai dû à la Poésie les plus hauts transports de ma vie; j'ai aimé les
poètes avec une passion toujours égale et fidèle. J'ai chanté à mon
tour. J'ai mis dans mes vers toute mon âme. J'ai parfois ressenti à les
écrire une douleur tellement intense que je ne la distinguais plus de la
joie supérieure. S'exprimer, jaillir hors de soi-même en chants, voilà
la seule raison vraie de la vie.
Je crois que la Beauté est une condition de la parfaite vie, au même
titre que la Vertu et la Vérité.
Le poète doit être celui qui rappelle aux hommes l'Idée éternelle de la
Beauté dissimulée sous les formes transitoires de la vie imparfaite.
Parmi toutes les formes que lui présente la Vie, il ne doit donc
choisir, pour symboliser son idée de la Beauté, que celles qui
correspondent à cette idée. Des formes de la Vie imparfaite, il doit
recréer la Vie parfaite.
En d'autres mots, il doit être le maître absolu des formes de la Vie, et
non être l'esclave comme les réalistes et les naturalistes.
Cependant il ne doit pas se contenter, comme les Romantiques et les
Parnassiens, d'une beauté tout extérieure, mais par le symbolisme des
formes de beauté il doit suggérer tout l’infini d'une pensée ou d'une
émotion qui ne s'est pas encore exprimée.
La poésie, étant à la fois Verbe et Musique, est merveilleusement apte à
cette suggestion d'un infini qui n'est pas souvent que de l'indéfini.
Par le Verbe elle dit et pense par la musique elle chante et rêve.
Aussi la seule Poésie est -elle la poésie lyrique, fille du Verbe
descriptif et de la Musique rêvante.
Et la seule Poésie lyrique qui puisse à cette heure prévaloir est la
Poésie symbolique qui est supérieure, par la force de l'idée
inspiratrice, à la vaine réalité de la Vie, puisqu'elle n'emprunte à la
vie que ce qu'elle offre d'éternel: le Beau qui est le signe du Bien et
du Vrai.
|
|