Jean-Luc Douin : Les jours obscurs de Gérard Lebovici.
Le cas Gérard Lebovici revient régulièrement dans la
presse française depuis près d'une quarantaine d'années.
L'homme alimenta d'abord la chronique des années '70 avec
ses divers engagements politiques et professionnels avant de
donner matière, jusqu'à aujourd'hui encore, à de multiples
enquêtes, débats, hypothèses et rumeurs à la suite de son
mystérieux assassinat toujours non élucidé. D'une façon
générale, tant la personnalité de Gérard Lebovici que les
zones obscures qui entourent le personnage public et privé
n'ont cessé d'intriguer et d'accompagner comme une ombre la
génération '68 qui ne peut s'empêcher de regarder du côté de
cet homme-clé de son histoire souterraine.
Jean-Luc Douin, journaliste au Monde et auteur de
plusieurs livres sur le cinéma, lui consacre une biographie
intitulée Les jours obscurs de Gérard Lebovici (éditions
Stock). Bien documentée et plutôt bienveillante, son enquête
biographique compile et synthétise à peu près tout ce que
l'on peut savoir aujourd'hui sur l'énigmatique et complexe
Gérard Lebovici né le 25 août 1932, assassiné dans de
troubles circonstances le 05 mars 1984, à 52 ans. L'homme
d'affaires qui fût à la tête d'un empire, à la fois
producteur diffuseur, avec sa structure A.A.A, de
films aussi bien d'art et essai que grand public, et
impressario fondateur de la célèbre agence artistique
Artmédia qui représente la majeure partie du gratin
cinématographique français (Catherine Deneuve, Jean-Paul
Belmondo, etc), fût aussi en même temps éditeur des éditions
Champ Libre -- au catalogue: Clausewitz, Bakounine,
Saint-Just, Marx, Souvarine, Gracian, Mesrine, Orwell,
etc,... --, mécène protecteur d'artistes et d'intellectuels,
grand amoureux de belles femmes, ami ou ennemi intime de
personnalités de tous bords tels Maître Kiejman, Renaud,
Yves Montand, Guy Debord, François Truffaut ou Jacques
Mesrine entre autres, provocateur, invectiveur, anarchiste
radical, voire selon les rumeurs, terroriste international,
mafieux, agent secret, maître d'oeuvre souterrain de mai 68,
etc. Les rôles réels ou supposés ne manquent pas, comprenant
cependant tous de larges facettes noires miroitantes qui
réflètent bien le personnage dans son époque.
Retraçant étape par étape le parcours de Gérard Lebovici,
Jean-Luc Douin consacre des pages fouillées à ses relations
avec Guy Debord, fondateur de l'Internationale
Situationniste et auteur de La Société du spectacle,
dont l'oeuvre littéraire et cinématographique fût financée
par Gérard Lebovici. Ce dernier publie non seulement les
livres et produit les films de l'auteur, mais va même
jusqu'à acheter une salle de cinéma, le Studio Cujas à
Paris, qui n'aura pour programme permanent exclusif pendant
des années que les films de Guy Debord, tels In girum
imus nocte et consumimur igni, jusqu'à ce que celui-ci
retire ses films de la circulation en 1984, exaspéré par les
rumeurs qui font de lui l'assassin de son mécène.
Jean-Luc Douin s'attarde bien entendu aussi sur ce qui se
présente comme le plus grand de tous les mystères: la fin
brutale et violente de cet électron sans doute un peu trop
libre. Le 05 mars 1984, à la suite d'un coup de téléphone,
Gérard Lebovici renvoie son chauffeur, prévient son épouse
qu'il sera en retard pour dîner, quitte son bureau et se
rend précipitamment à un mystérieux rendez-vous noté sur un
bout de papier retrouvé plus tard dans ses poches: "François
rue Vernet 18h45". Il est retrouvé deux jours plus tard,
affalé dans sa voiture garée dans un parking souterrain de
l'avenue Foch, quatre balles de 22 long rifle dans la nuque.
L'argent n'est pas le mobile du crime car une importante
somme est retrouvée sur lui. Ses papiers d'identité par
contre ont disparus, probablement emportés par le tueur pour
justifier à un commanditaire qu'il a rempli son contrat.
Depuis cet assassinat mystérieux qui fait encore l'objet de
toutes les spéculations, le mystère demeure autour de
l'énigmatique Gérard Lebovici qui traversa des jours obscurs
dans la France d'après 68.
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À voir : Thierry Bourcy Lebo, l'ombre
et la lumière (CinéCinéma Culte). À lire: Gérard
Lebovici Tout sur le personnage (éditions Lebovici);
Guy Debord Considérations sur l'assassinat de Gérard
Lebovici (Champ Libre); Guy Debord Correspondance
(Champ Libre); La Correspondance des éditions Champ Libre
(Champ libre); Christophe Bourseiller Vie et mort de Guy
Debord (Plon); Gérard Guégan Inflammables (Sabine
Wespieser); Michèle Bernstein Tous les chevaux du roi
(Allia).
Copyright ©
N. B. /
La République des Lettres, mardi 06 mai 2008
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