Symbolisme
/Symbolism
Sonnet (Alfred de Musset)
Se voir le plus possible et s'aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu'un désir nous trompe, ou qu'un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son cœur à tout moment;
Respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge,
Faire de son amour un jour au lieu d'un songe,
Et dans cette clarté respirer librement,
Ainsi respirait Laure et chantait son amant.
Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
C'est vous, la tête en fleurs qu'on croirait sans souci,
C’est vous qui me disiez qu'il faut aimer ainsi.
Et c'est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci
Oui, l'on vit autrement, mais c'est ainsi qu'on aime
LES THÈMES
Sentiments : les chartes d'un amour idéal que l'expérience de la vie n'a pas encore abîmé, présentées sous une forme qui n'admet pas le doute (emploi de l'infinitif), s'opposeront à la vision du poète. Pour lui, qui très jeune a connu une existence agitée, la débauche, la trahison, des épisodes extrêmement douloureux lors de sa liaison tumultueuse avec Georges Sand, tous ces préceptes bien pensants, ne concernent pas la réalité de la vie et ne sont qu'illusions. La chute finale du dernier vers l'explicite avec cynisme et désabusement.
VERSIFICATION
- Sonnet au schéma très classique. - Le mètre employé est l'Alexandrin.
- Les vers sont agencés selon un schéma imposé pour le sonnet et se composent de 2 quatrains : strophes de 4 vers - 2 tercets : strophes de 3 vers. Les rimes répondent au schéma suivant abba aabb cdd cdc
- Les rimes Masculines et Féminines s'agencent selon le même schéma que précédemment:
abba MFFM
aabb FFMM
cdd FMM
cdc FMF
Toutes les rimes sont suffisantes. Un rythme classique qui respecte la césure à l'hémistiche, à l'exception du 1 er vers du 2ème tercet où le poète a voulu casser celui-ci, créer un effet de surprise totale. Les deux autres vers du tercet ont également un rythme plus rapide et sortent de la sagesse et de la monotonie des autres. –
Aucun enjambement, ni rejet.
LES SONORITÉS
Les voyelles en français:
Les allitérations
Le "s" : sonorité qui donne à la tonalité du poème une grande douceur. On le trouve essentiellement dans les deux premières strophes où l'amour est évoqué sous forme de commandement, de charte. "se voir le plus possible et s'aimer seulement" "sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge".
- D'autres fricatives qui évoquent les mêmes sensations sont également très présentes F, V, Z, CH, J "mensonge", ronge, songe, jour, plonge "vous", "vivre" "chaque pas touche", "chantait" "fleurs", Ç enfant È
- Les consonnes dures sont présentes pour évoquer 1 a trahison, ou les doutes du poète sur la réalité de ces affirmations ; elles préparent le cynisme du dernier vers. "qu'un désir nous trompe" "vivre à deux et donner son coeur à tout moment" "respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge" "dans cette clarté respirer librement" "qui me disiez qu'il" "vieil enfant du doute et du blasphème.
- Les consonnes liquides: L, R évoquent l'amour se voir le plus possible et s'aimer seulement dans cette clarté respirer librement Ainsi respirait Laure
- Les assonances an, on, ou, or : tonalité dont la répétition, l'écho évoquent toute l'ambiguité entre l'idéalisme et la réalité. Ainsi, le son "an" : qui est souvent associé à la plainte, à la douleur; mais ici il estpris au premier degré et s'associe à l'idéalisme des amants seulement, sans, moment, amant, autrement "mensonge", "ronge", "songe", "réponds", etc...
Des voyelles plus légères: A, E, I "respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge" "vous, dont chaque pas touche à la grâce suprême"
LES FIGURES DE STYLE
Elles sont rares dans ce poème.
TROPES
- Quelques métaphores. "un jour", "un songe" : connaissance de l'autre "la tête en fleurs": la jeunesse "vieil enfant": s'oppose à la sagesse des vers précédents.
- Personnification
Le désir nous trompe
le remord nous ronge
RÉPÉTITION
l'anaphore se-s' -sa-son sans c'est vous : formule qui insiste pour marquer plus brutalement l'opposition au vers suivant "Et c'est moi" "C'est ainsi"
Le premier quatrain est formé de 4 vers, composés avec une symétrie parfaite
"se voir le plus possible et s'aimer seulement"
Le polyptote : répétition d'un mot dans des fonctions grammaticales différentes "et dans cette clarté respirer librement ainsi respirait Laure"...
OPPOSITION
- antithèse "vieil enfant" Le dernier vers où les 2 parties s'opposent totalement.
APOSTROPHE
"c'est vous" : le poète s'adresse aux deux amants qui lui donnent une leçon d'amour, établissent une charte rigide, censée mais ne correspondant pas à la réalité.