STRUCTURES DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN

     

   ÉLÉMENTS FONDAMENTAUX DE LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE

 

Bien souvent, dans ce cours, c'est la langue française qui sera l'objet de notre étude; c'est-à-dire que nous allons utiliser un certain langage pour parler de la langue. Il convient donc avant tout de faire la distinction entre deux domaines: le LANGAGE-OBJET (celui dont on parle) et le MÉTALANGAGE (celui dont on se sert pour étudier et analyser le LANGAGE-OBJET).

Notre MÉTALANGAGE utilise un certain vocabulaire spécialisé qui définit les concepts et les éléments nécessaires à l'étude du LANGAGE-OBJET. Également, depuis 1968 et le mouvement structuraliste, ce vocabulaire est devenu un langage de base dans l'analyse des textes et des discours. Raison de plus pour bien le posséder.

 

LANGUE / PAROLE

 

Ferdinand de Saussure, professeur de linguistique générale à l'université de Genève (Suisse) de 1896 à 1911, est à l'origine des principaux travaux contemporains sur le langage. Deux concepts fondamentaux sont ceux de PAROLE et LANGUE.

LANGUE: c'est l'aspect social et codifié du langage. Ce qui correspond aux lois d'usage auxquelles se conforment les gens d'un même groupe linguistique. Ces lois d'usage sont aussi bien les règles grammaticales (morphologiques, syntaxiques) que les règles phonétiques. Les lois sont des conventions selon lesquelles ce qui est dit par quelqu'un peut être compris par une autre personne appartenant au même socius. L'ensemble de ces lois constitue le code. La LANGUE est donc un ensemble strict de règles que l'on ne peut modifier sans risquer de ne plus pouvoir communiquer.

PAROLE: la PAROLE est un acte individuel. Chaque locuteur a sa manière propre d'utiliser les règles pour organiser les mots et les phrases. La PAROLE c'est donc l'acte de choisir entre les possibilités offertes par la LANGUE pour combiner les constituants du code.

Ainsi, en français, on peut aussi bien dire:

J'AI MAL A LA TÊTE

LA TÊTE ME FAIT MAL

Les deux phrases n'ont pas exactement le même sens, mais elles sont correctes, alors que la structure *MAL J'AI TETE A LA est incompréhensible en français, car elle ne correspond pas aux lois du code grammatical.

Dans son Cours de linguistique générale, Saussure utilise la comparaison avec un jeu d'échecs: la LANGUE c'est l'ensemble des règles qui gouvernent la marche des pièces du jeu (pion, reine, roi, tour, cavalier, etc.) et la PAROLE, c'est la manière individuelle dont chaque joueur combine ces règles pour construire sa stratégie. SIGNIFIANT/SIGNIFIÉ

 

Le langage est un ensemble de SIGNES. Chaque signe a un double aspect:

1.                              Matériel: sons, dessin. C'est le plan de la forme concrète extérieure.

2.                              Conceptuel: le sens, le concept. C'est la représentation intellectuelle d'une

chose, d'une idée ou d'un être vivant.

 

A)   SIGNIFIANT:

Il est donc matériel; c'est le dessin des lettres de l'alphabet (signifiant graphique/ graphème), ou le son produit lors de la communication orale (signifiant phonique/phonème).

On reconnaît au signifiant deux articulations:

-- 1 re articulation: elle partage le langage en unités significatives:

Dans la phrase LE /ROI / BOIT il y a trois termes (mots) différents; chacun de ces termes est chargé d'un sens différent. On dit que cette unité est un monème car elle réunit à la fois un signifiant et un signifié. Le monème peut être plus petit que le mot comme, par exemple, les suffixes et les préfixes; l'important, c'est qu'une forme corresponde à un sens.

-- 2e articulation: elle partage les unités de la première articulation (monème) en unités minimales plus petites. Dans le signifiant graphique, elle divise l'alphabet en éléments distincts (lettres). Dans le signifiant phonique elle établit des unités singulières de son (phonèmes). On dit que ces unités sont distinctives car elles servent à distinguer les unités de la première articulation.

                                                             ~       ~

M / ON - T/ ON                                          [m/o] - [t/o]

 

Chaque unité prise séparément ne signifie rien, mais en combinaison elles servent a constituer les unités significatives.

 

Tandis que le nombre des unités distinctives est limité (alphabet ou alphabet phonétique), le nombre des unités significatives est infini. Seuls les langages qui ont une double articulation méritent, en linguistique, le nom de langue. II existe donc des langages sans langue: langage cinématographique, théâtral, chorégraphique, musique, des animaux, etc.

 

B)    SIGNIFIÉ:

 

C'est un contenu intellectuel ou représentatif ("une image mentale"). Le signifié c'est le sens, ou la représentation intellectuelle d'un objet ou d'un concept. Ce n'est jamais la chose elle-même qui est un objet extra-linguistique (RÉFÉRENT). L'étude des propriétés des signifiés s'appelle la sémantique.

 

RAPPORT DE SIGNIFICATION:Le signe est un tout composé du SIGNIFIÉ et du SIGNIFIANT. Pour le prouver, Saussure faisait dessiner un A sur une feuille de papier et faisait découper cet A. II montrait alors que le recto et le verso de la feuille de papier avaient un trou en forme de A. Le rapport du SIGNIFIANT au SIGNIFIE s'écrit ainsi:

 

                     SIGNIFIANT                                                        SA

SIGNE= ---------------------------           ou en abrégé                                       S              =                     -----

 

                        SIGNIFIÉ                                                     SÉ

 

LANGUE / PAROLE, SIGNIFIÉ /SIGNIFIANT sont des concepts du MÉTALANGAGE qui servent à analyser la nature des éléments linguistiques et les constituants des discours

littéraires et autres. II convient maintenant d'étudier deux concepts opératoires qui servent à analyser la mise en rapport de ces éléments entre eux.

 

PARADIGME / SYNTAGME

 

Soit l'exemple suivant: Il est 8h 56mn 6s

Dans cet énoncé, il y a une double série de rapports:

1 re série: les heures, les minutes, les secondes se relient simultanément entre

elles. Les divers éléments constituent un ensemble qui se produit en même temps. Les données sont simultanées. Ce type de rapport est dit SYNTAGMATIQUE; les trois séries (h, mn, s) se combinent ensemble pour former un SYNTAGME.

2e série: '8h' se situe entre '7h' et '9h'; `56mn' se situe entre '55mn' et `57mn'; '6s'

se situe entre '7s' et '5s' etc. On peut donc imaginer une série des heures, une série des

minutes et une série des secondes. Ce type de rapports entretenus entre les éléments qui ont un point commun est un rapport PARADIGMATIQUE; les heures, les secondes, les minutes, constituent, dans mon exemple, un PARADIGME:

 

Rapport                                  10 h               58 mn             8 s

Paradigmatique                        9                 57                   7

|                                                8                 56                   6

|                                                7                 55                   5

|                                                             6                 54                   4

V <---------------------------------------------------------------------------------- >

Rapport syntagmatique

 

Cette double série de rapports se retrouve dans le langage.

Soit l'exemple: LE CHEVAL PORTE LE CAVALIER

Le rapport SYNTAGMATIQUE relie les 5 termes qui composent simultanément la phrase; mais à partir de chacun de ces 5              éléments :

 

LE                                                                    CHEVAL                        PORTE                 LE CAVALIER

LE                                                      CAVALIER               porte                le  cheval

CE                                                     GARÇON                  REGARDE       DES IMAGES

LES                                                   TEMPÊTES              DÉTRUISENT   LES MOISSONS

etc.

 Dans son article historique «Two Aspects of Language and Two Types of Aphasic Disturbances» [1956/1987], Roman Jakobson affirme qu'il y a deux types d'aphasie, et qu'elles s'articulent sur le désordre du syntagmatique ou le désordre du paradigmatique. Il appelle l'aphasie articulée sur un dysfonctionnement du paradigmatique  «The similarity disorder» (aphasie sélective) car le paradigmatique repose sur la similarité des éléments du paradigme; pour l'aphasie articulée sur le syntagmatique, il l'appelle «The contiguity disorder» (aphasie combinatoire) car la combinaison des éléments sur l'axe syntagmatique est perturbée. Dans la dernière partie de l'article, il suggère que le paradigmatique est l'axe de la métaphore et que le syntagmatique est l'axe de la métonymie; en conclusion il considère que la poésie par la nature de la poétique même est le genre de la métaphore et que la prose est le genre de la métonymie car la prose existe surtout dans la succession linéaire des événements (narrativement organisés ou non) qui constitue l'intrigue. 

Après avoir vu comment se combinent les divers constituants entre eux, il convient maintenant d'étudier un processus qui règle la communication et la sélection de l'information.

 

DÉNOTATION / CONNOTATION

 

Ces deux concepts servent à préciser le type d'information contenu dans la communication. Lorsque l'on dit, par exemple: "Passe-moi le sel", c'est une information directe et simple. Il n'y a là que DENOTATION. L'énoncé se limite au passage de l'information stricte. Si, en revanche, nous disons: "Pourriez-vous me passer le sel, s'il vous plaît?", l'information contenue dans l'énoncé est la même, mais en plus, le choix de la formule implique un plus haut degré de politesse ainsi que toutes les implications qui en découlent. Le fait d'être poli n'a rien à voir avec le contenu de l'information principale de la communication, c'est une information supplémentaire, parasitaire, même par rapport au message essentiel; on dit qu'il y a CONNOTATION.

La CONNOTATION fait toujours appel à un contexte culturel partagé entre les locuteurs. Ainsi, si je demande à trois personnes: "Est-ce que vous avez un auteur national préféré?", la première personne répond "Tolstoi", la seconde "Faulkner" et la troisième "Balzac", le message de base (la DENOTATION) est le même: "Oui, nous avons chacun un auteur national préféré"; mais en plus, je peux deviner la nationalité de chacune de ces personnes. Une information qui n'a rien a voir avec la question posée (ce n'était pas: "De quel pays venez-vous?"). Cet exemple est pris dans une situation de langage courant, mais le phénomène de la CONNOTATION est constant dans les ouvrages de type littéraire, parce que cela sert à faire passer plusieurs informations à la fois. Un auteur qui veut accentuer la couleur locale, par exemple, accentuera l'usage des mots étrangers. La CONNOTATION permet ainsi d'augmenter l'information sans perturber le message. Mais la CONNOTATION, parfois, aussi, joue un rôle important dans la sélection du vocabulaire. En français, par exemple, le mot courroux est plus littéraire que le mot colère, dans certains contextes, le mot épouse est acceptable alors que l'équivalent femme est proscrit, etc.

 

 

LA DOUBLE ARTICULATION

 

André Martinet

Éléments de Linguistique Générale

 

On entend souvent dire que le langage humain est articulé. Ceux qui s'expriment ainsi seraient probablement en peine de définir exactement ce qu'ils entendent par là. Mais il n'est pas douteux que ce terme corresponde à un trait qui caractérise effectivement toutes les langues. II convient toutefois de préciser cette notion d'articulation du langage et de noter qu'elle se manifeste sur deux plans différents: chacune des unités qui résultent d'une première articulation est en effet articulée à son tour en unités d'un autre type.

La première articulation du langage et celle selon laquelle tout fait d'expérience à transmettre, tout besoin qu'on désire faire connaître à autrui s'analysent en une suite d'unités douées chacune d'une forme vocale et d'un sens. Si je souffre de douleurs à la tête, je puis manifester la chose par des cris. Ceux-ci peuvent être involontaires; dans ce cas ils relèvent de la physiologie. Ils peuvent aussi être plus ou moins voulus et destinés à faire connaître mes souffrances à mon entourage. Mais cela ne suffit pas à en faire une communication linguistique. Chaque cri est inanalysable et correspond à l'ensemble, inanalysé, de la sensation douloureuse. Tout autre est la situation si je prononce la phrase «j'ai mal à la tête». Ici, il n'est aucune des six unités successives:« j', ai, mal, à, la, tête» qui corresponde à ce que ma douleur a de spécifique. Chacune d'entre elles peut se retrouver dans de tout autres contextes pour communiquer d'autres faits d'expérience mal, par exemple, dans il fait le mal, et tête dans il s'est mis à leur tête. On aperçoit ce que représente d'économie cette première articulation : on pourrait supposer un système de communication où, à une situation déterminée, à un fait d'expérience donné correspondrait un cri particulier. Mais il suffit de songer à la variété de ces situations et de ces faits d'expérience pour comprendre que si un tel système devait rendre les mêmes services que nos langues, il devrait comporter un nombre de signes distincts si considérable que la mémoire de l'homme ne pourrait les emmagasiner. Quelques milliers d'unités, comme tête, mal, ai, la, largement combinables, nous permettent de communiquer plus de choses que ne pourraient le faire des millions de cris inarticulés différents.

La première articulation est la façon dont s'ordonne l'expérience commune à tous les membres d'une communauté linguistique déterminée. Ce n'est que dans le cadre de cette expérience, nécessairement limitée à ce qui est commun à un nombre considérable d'individus, qu'on communique linguistiquement. L'originalité de la pensée ne pourra se manifester que dans un agencement inattendu des unités. L'expérience personnelle, incommunicable dans son unicité, s'analyse en une succession d'unités, chacune de faible spécificité et connue de tous les membres de la communauté. On ne rendra vers plus de spécificité que par l'adjonction de nouvelles unités, par exemple en accolant des adjectifs à un nom, des adverbes à un adjectif, de façon générale des déterminants à un déterminé. Chacune de ces unités de première articulation présente, nous l'avons vu, un sens et une forme vocale (ou phonique). Elle ne saurait être analysée en unités successives plus petites douées de sens: l'ensemble tête veut dire « tête » et l'on ne peut attribuer à «» et à «te» des sens distincts dont la somme serait équivalente à «tête».

Mais la forme vocale est, elle, analysable en une succession d'unités dont chacune contribue à distinguer tête, par exemple, d'autres unités comme bête, tante ou terre. C'est ce qu'on désignera comme la deuxième articulation du langage. Dans le cas de tête, ces unités sont au nombre de trois; nous pouvons les représenter au moyen des lettres t e t, placées par convention entre barres obliques, donc /t e t/. On aperçoit ce que représente d'économie cette seconde articulation si nous devions faire correspondre à chaque unité significative minima une production vocale spécifique et inanalysable, il nous faudrait en distinguer des milliers, ce qui serait incompatible avec les latitudes articulatoires et la sensibilité auditive de l'être humain. Grâce à la seconde articulation, les langues peuvent se contenter de quelques dizaines de productions phoniques distinctes que l'on combine pour obtenir la forme vocale des unités de première articulation: tête, par exemple, utilise à deux reprises l'unité phonique que nous représentons au moyen de /t/ avec insertion entre ces deux /t/ d'une autre unité que nous notons /e/.

 

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